Une seringue microscopique programmable tirée d’une bactérie


La nature, quand elle fait la guerre, est décidément une source infinie d’inspiration médicale. Un nouvel exemple en est fourni par une seringue programmable microscopique, capable d’administrer à des cellules ciblées toute une série de molécules à vocation thérapeutique. Pour la concevoir, l’équipe de Feng Zhang (Broad Institute, MIT, Harvard), qui décrit ce procédé dans Nature du 30 mars, a copié un système d’attaque à distance utilisé par certaines bactéries pour s’en prendre à des cellules d’insectes, lesquels sont ensuite dévorés par un ver nématode qui héberge ces bactéries. La nanomachine tueuse mise à profit dans cette symbiose ressemble aussi au mécanisme qu’utilisent certains virus, les phages, pour infecter des bactéries.

Ces systèmes d’injection contractile extra-cellulaires étaient déjà connus, et il avait été montré récemment qu’ils pouvaient aussi servir à infecter des cellules de souris. Mais Feng Zhang et ses collègues sont allés plus loin : ils ont introduit des plasmides − des molécules d’ADN circulaires − dans la bactérie Escherichia coli (E. coli) pour qu’elle exprime la séquence de gènes qui permet à sa cousine Photorhabdus asymbiotica de produire ses fléchettes empoisonnées.

Pas moins de seize gènes sont impliqués dans l’assemblage de cette structure très complexe, qui comprend un tube rigide doté d’une extrémité pointue, enserré dans une enveloppe capable de se contracter, elle-même ancrée sur une base comportant des « pieds » dotés de systèmes de reconnaissance cellulaire. Le tube peut contenir divers types de molécules, lesquelles se trouvent injectées dans la cellule cible lorsque l’enveloppe se contracte.

Recours à l’intelligence artificielle

Joseph Kreitz, premier auteur de l’étude de Nature, a conduit toute une série d’expériences pour s’assurer que les seringues produites par E. coli remplissaient les mêmes fonctions que leurs inspiratrices « sauvages ». De fait, il a pu montrer avec ses collègues que les cellules humaines pouvaient, elles aussi, être ciblées. Il a fallu pour cela adapter le système pour qu’il reconnaisse des récepteurs présents à la surface de nos cellules. Les chercheurs ont eu recours à AlphaFold, un système d’intelligence artificielle, pour prédire la structure 3D la plus à même d’assurer une connexion solide.

L’équipe américaine a ensuite testé les capacités d’emport pour diverses molécules. Leur seringue est parvenue à charger, puis à injecter un Cas9 tiré d’un streptocoque. Cas9 est une enzyme capable de couper des brins d’ADN à des endroits précis. Cela confirme la possibilité de véhiculer des molécules d’une taille imposante, au service de stratégies de correction des gènes − Cas9 fait en effet partie de la panoplie toujours plus diverse d’outils d’édition des génomes. Inséré dans un complexe appelé Crispr-Cas9, il a valu le Nobel de physiologie ou de médecine à l’Américaine Jennifer Doudna et à la Française Emmanuelle Charpentier, Feng Zhang étant opposé à ces dernières dans une intense guerre de brevets autour de cette découverte, elle aussi inspirée d’un système permettant aux bactéries de se défendre contre des virus…

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